C'est une de mes villes, je pourrais y vivre dans une petite maison éloignée du flot du tourisme.
J'y suis allé de mémoire, il me semble cinq ou six fois.
La première fois, j'avais voulu prendre un peu l'air, m'étais comme enfuie d'un petit village suisse perdu dans la montagne où à une petite cinquantaine, il était question de vivre en communauté, l'idée ne me séduisait pas, trop indépendante pour ça.. et, en compagnie d'une autre nous avions décidé de partir vers la Yougoslavie, vers la mer sans doute. Nous étions partis en stop de Locarno.. Sur la route, nous avons fait connaissance de deux italiens qui harassés d'attendre depuis des heures sous le soleil nous ont proposé de continuer vers Venise en faisant deux couples mixtes pensant qu'ainsi ils finiraient par enfin réussir à décoller de l'endroit. Nous avons tirés au sort, je tombais sur Gigi.. Sur le chemin, une voiture nous laissa devant le lac de Garde. Il faisait très chaud et nous décidâmes d'un même élan d'en profiter pour nous baigner.
Gigi était brun, la peau mate, les cheveux un peu frisés. Assez beau.
J'étais assise plus haut sur la berge, j'avais donc une vue sur la petite plage et sur le lac. Quand Gigi s'avança dans l'eau, il y eut un silence, c'était comme si, tout d'un coup, tous les bruits alentour avaient subitement cessés, même les enfants avaient fait silence, pénétrés sans doute par celui soudain des adultes.. ô temps suspend ton vol. Je pris conscience alors que Gigi ressemblait à l'image que l'on se fait du Christ.. L'émotion palpable qui avait pris les badauds estivants m'éclaira en quelque sorte. Personne ne me fit part pourtant de sa pensée intime, mais c'était là et intuitivement je l'ai compris.. Nous avions tous soudain comme une vision biblique, nous n'étions plus en Italie mais sur les rives du lac Tibériade. Je ne me souviens pas m'être ouverte à ce sujet par la suite à Gigi.
Nous nous étions donnés rendez-vous sur la Place St Marc.. Il faisait nuit quand nous sommes finalement arrivés. Je ne sais plus qui furent les premiers, sans doute fut-ce cette amie et Riccardo..
Me souviens de la chaleur douce, d'une petite foule, de pigeons et de marches où nous étions assis tranquilles regardant le spectacle qui s'offrait. Cette première visite à Venise, fut courte, nous dormîmes à la belle dans un parc.. Gigi et Monique flirtèrent quand je restais sage. Le lendemain, les garçons partirent plus tôt, il allaient à Udine, nous nous filions vers Trieste. Quelques kilomètres plus tard, nous les retrouvions.. Nous avons il me semble continué un peu le stop ensemble et puis chacun avait suivi son chemin. Nous nous étions donnés rendez-vous plus tardivement à Milano. Après notre périple yougoslave, nous somme repassé à Venise, mais je n'en ai qu'un souvenir confus, sans doute ne sommes-nous pas restées très longtemps.
La troisième fois, j'arrivais par le train avec une autre amie, c'est bien d'arriver à Venise par le train, on sort de la gare, et là devant de grandes marches vous mènent directement vers l'eau.
Nous logions sur la Giudecca, l'ile juive de Venise, dans un couvent. J'aime beaucoup cette petite ile, elle autorise une échappatoire à Venise tout en permettant de l'admirer de l'autre bord du grand canal. C'est comme un tout petit venise, et si l'on y marche un peu, on découvre de petits endroits charmants et presque dérisoires. Mais je reviendrais pour une autre visite à la Giudecca.
Lors d'une de nos balades dans la cité lacustre, nous fîmes connaissance d'un italien, tiens j'ai oublié son prénom, disons Pietro... Il habitait Mestre mais venait tous les jours à Venise parce qu'il travaillait à la Fénice comme ouvreur. Alors tous les soirs après que nous ayons diné dans quelques trattorias, nous allions nous installer dans une loge du joli théâtre et assistions médusées, stoïques parfois, proches du fou rire d'autres fois, à des concerts chaque soir différents de musique contemporaine ou dites concrètes. Il n'y avait pas un public énorme et nous étions perchées tout en haut. Mais quelque soit la musique proposée, le spectacle en lui même du théâtre était magnifique. J'ai eu d'ailleurs beaucoup de peine quand celui a été détruit par un incendie quelques années plus tard. Il a été refait à l'identique, mais il lui faudra quand même plusieurs décennies pour qu'il retrouve les patines du temps qui faisaient son âme.
Je me souviens aussi que je ne payais qu'en fleurs cueillies ici ou là les chauffeurs des vaporetto qui en retour me souriaient et me laissaant faire tous les trajets possibles à l'œil. Sans doute, toute cette beauté là aquatique et architecturale me sublimait tellement qu'elle m'autorisait toute liberté.
Au couvent nous avions seulement une permission de sortie jusqu'à 22 heures, les sœurs nous ont parfois fait la tête quand nous arrivions trop tard, où quand nous n'avions pas dormi là, mais finalement cela les réjouissait plutôt, nos retards et ce qu'elles en imaginaient leur donnait l'œil malicieux..
Puis, je suis revenue encore à Venise avec l'une de mes sœurs.. Chacune avait fait son chemin pendant l'été, elle à Prague et moi à Vienne et Budapest. A l'époque pas de téléphone portable, pas d'internet et encore le mur de Berlin. Nous nous étions donné rendez-vous pendant quatre jours de suite à midi devant le légendaire hôtel Gellert à Budapest. Je narrerai plus tard mes aventures hongroises. Nous sommes restées encore quelques jours à Budapest, ma sœur était étonnée qu'en quelques jours je me sois fait déjà autant d'amis. Puis nous sommes parties un peu à l'aventure vers ce qui était encore la Yougoslavie par le train. Par hasard nous avons débarquées à Porec, sur la péninsule au sud de Trieste. Magnifique endroit bordé par l'eau... Jolies maisons, ruelles, églises, vieux quais de marbres usés, poésie des lieux qu'il me semblera un peu retrouver plus tard à Malte dans la charmante Graciosa.
Au bout de quelques jours alors qu'il fallait quand même que nous songions tout doucement à rentrer, nous nous sommes rendu compte qu'un bateau, davantage un petit paquebot qu'un ferry, allait de Porec à Venise.. L'aubaine était trop jolie, nous l'avons saisie. Le bateau était blanc et le soleil qui venait frapper sa coque et sa dunette nous éblouissait, la mer était d'un bleu profond, calme. J'aurais aimé continuer longtemps le voyage à son bord. L'arrivée à Venise en bateau est superbe, parce quand au loin on commence à apercevoir le ville qui se dessine tout doucement c'est une espèce de ravissement. J'ai dit plus haut que que descendre du train à la gare centrale était aussi agréable, mais il vaudrait mieux pouvoir toujours arriver partout par la mer. L'eau, ce qu'elle entoure, ce qu'elle semble comme porter de loin est vraiment un chemin vers l'émotion.
Dès le lendemain j'avais décidé d'aller vers une église que j'aimais particulièrement, elle était assez loin des sentiers battus et rabattus des touristes. Je risquais ayant oublié son nom de ne pas la retrouver. Il fallait prendre comme un dédale de petites rues.. Sans doute, mon fil d'Ariane personnel se mit-il en place sans que je ne le perçoive ou alors étais-je dans le même feeling que celui qui naguère m'avait amenée là. Il avait fallu que j'ai exactement le même cheminement. Au bout de vingt minutes de marche, nous tombions en face d'elle. Elle n'était pas spécialement plus jolie que d'autres, mais je l'aimais et surtout j'avais des souvenirs là qui n'appartenaient qu'à moi.
La première fois quand j'avais fini par arriver là, comme si quelque chose m'y attendais, j'étais entrée dans la grande église parce qu'aussi du dehors j'avais entendu de la musique. Il n'y avait plus aucune chaise et au fond sur une estrade était installé un orchestre symphonique qui répétait un concert à venir. Nous étions très peu de spectateurs. J'allais m'asseoir au pied d'une des très grandes colonnes, j'étais là le dos posé contre la pierre. Je n'avais jamais assistée en direct à une répétition d'orchestre. Je ne me souviens plus de quelle œuvre il s'agissait, je pencherais pour Beethoven. C'était un cadeau du ciel d'assister à un tel spectacle. Quelques moines en robe s'agitaient un peu alentour et l'on entendait dans la fraicheur de l'église le claquement sec de leurs spartiates qui résonnait au milieu des instruments. Je devais être là, discrète depuis plus d'une heure quand un des hommes d'église vint me déranger dans ma béatitude. Il me fit comprendre en agitant son trousseau de clefs qu'il devait fermer l'endroit, qu'il était l'heure.
J'essayais de résister un peu à sa demande mais je finis par quitter ma place avec regret et pris la direction de la sortie. J'échangeais quelques mots avec le moine, qui m'avoua qu'en réalité, il n'en était pas un, qu'il prenait l'habit pour vendre des cartes postales et autres souvenirs aux touristes. Là il me proposa de fermer l'église moi même.. ou est-ce moi qui lui fit part de cette envie, je ne sais plus. Mais quand je récupérais le trousseau, j'eus un peu l'impression d'avoir en main un peu d'Histoire, comme si, je touchais un peu du passé. Les clefs étaient énormes, grandes, chacune faisait au moins trente centimètres.. Il faut dire aussi que les portes l'étaient aussi. Quand je fermais la première, il fallait faire deux tours, le bruit des verrous en tournant claqua comme en résonnant dans le chambranle de la porte puis comme en écho résonna jusqu'au coeur de l'église. Je n'ai pas analysé pourquoi cela me fit tant plaisir d'accomplir cette tâche. Sans doute que détenir ces clefs m'en faisait pour un court moment comme une espèce de propriétaire et puis et surtout j'ai senti dans ces clefs comme un magnétisme, celui sans doute de toutes ces mains qui au fil des siècles les avaient maniées un jour.
Quand donc on a fini ma sœur et moi par arriver dans l'église, il n'y eut pas cette fois de choses particulières, sauf pour moi qui en retrouvant ces lieux, retrouvait mes sensations et mes anciennes visions.
Au soir de cette journée particulière pour moi me souviens aussi d'une autre scène tout à fait mémorable. A mon retour, le temps de marcher de l'autre côté de Venise il faisait nuit. Nous étions en août et, par conséquent les jours étaient déjà plus courts. Je traversais le grand canal et longeais d'un pas tranquille les quais de la Giudecca quand des clameurs d'abord puis des lumières qui irradiaient par dessus les toits me donnèrent envie de prendre une petite ruelle sombre qui semblait mener vers l'endroit où il avait l'air de se passer quelque chose. Je finis par arriver dans une espèce de no man's land, sorte de grande cour de terre bordée de maisons où se déroulait un match de foot. Il y avait foule qui s'était massée, postée sur les petits murets étroits qui cernaient les limites du petit stade. C'était si je me souviens bien un genre match de je ne sais quelle sous division mais nous avions là Milan contre la Guidecca .. C'était très chaud et animé, il y avait même des moines habillés en robe brune qui s'énervaient braillant, s'agitant autant que les autres. La scène était vraiment cocasse et toute cette vie là faisait vraiment plaisir à voir. J'ai du y rester une petite demi-heure puis ai filé vers le couvent pour ne pas avoir de remontrances des sœurs.
Claire et moi, on s'amusa à faire du bateau stop... Le premier à nous faire signe de monter à son bord était mais nous ne le savions pas encore, un éboueur.. Je ne sais plus comment on dit en italien.. Enfin donc avec sa petite péniche, il ramassait les poubelles qu'il enfournait dans le ventre de son bateau.
Là il ne travaillait pas et nous proposa une balade. Nous avons traversés avec lui le grand canal puis la Giudecca.. On ne savait pas trop où on allait en fait. Entre l'ile juive et une autre plus loin, il a arrêté le bateau sans un mot, nous nous sommes regardé ma sœur et moi un peu inquiètes, mais il ne voulait qu'effectuer la vidange de son moteur. Nous étions un peu dégoutées qu'il fasse ça là, laissant les vieilles huiles dans la mer, mais nous n'avons pas osé le manifester. Il était un peu rustre mais gentil. Il était très fier de son métier et portait un médaillon en or qu'il avait fait graver, d'un homme avec son petit balais fait à l'ancienne avec des petites brindilles de bois.
Quand il a finit, il m'a proposé de barrer sa péniche pour le retour.. La traversée du Grand Canal était un peu périlleuse, mais il s'installa à l'avant de son bateau et me laissa faire, il fallait faire attention, il y avait beaucoup d'embarcations frêles gondoles, vaporettos toutes vapeur dehors, quelques paquebots.. Quand j'arrivais de l'autre côté, alors parfois les canaux étaient très étroits et les angles pour tourner très obtus. Il fallait bien observer alors les miroirs qui aidaient à la vue et aussi crier d'un puissant ooooooh !! pour prévenir de son arrivée. Parfois j'avais le cœur qui battait vite, mais je m'en suis tirée, je ne sais pas bien comment, mais je le bateau est passé sans toucher......
Puis notre homme nous fit visiter un chantier de gondoles.. inhabituelle et originale visite. Enfin nous allâmes en partie en bateau et à pied par des espèces de terrains vagues et asséchés jusqu'à Murano. Pendant que nous marchions, il a essayé de me voler un baiser.. Je me suis esquivée en riant.
Les italiens peuvent vous proposer de faire l'amour en cinq minutes, mais je pense que pour la plupart si on acceptait franco, alors ils seraient pour le moins déconfits.. La religion est bien présente encore. Alors souvent on se sauve de tout avec un sourire.
A Murano, je dois dire que j'aurais bien voulu essayer de faire aussi gonfler le verre. Mais je n'ai pas osé demander.. Les ateliers de certains souffleurs de verre étaient juste de petites cabanes assez sobres dans lesquels il faisait une chaleur à étouffer. Mais dans cette moiteur enfumée, dans ces espèces d'antres, apparaissait la beauté. Clarté d'un rai de soleil irisant soudainement la pâte de verre soulignant la transparence, autorisant l'évidente fulgurance et nécessité d'un bleu profond, d'un rouge sang.. Dans une autre vie, sans doute, je serais souffleuse de verre.
Une autre fois un jeune homme sur un petit hors-bord assez décati, nous pris aussi en stop, nous proposant d'aller nous baigner au Lido.. Belle balade où nous foncions les cheveux au vent dans une beauté bleutée. Là bas, je sentis quelques effluves de Mort à Venise s'imposer naturellement à moi, tout y faisait songer, les vieux hôtels qui dressaient leurs blancheurs élégantes mais un peu démodées, la plage, les couleurs, il me semblait que j'allais croiser à l'ombre de quelques tissus tendus Mastroianni pleurant son bel enfant.. Notre appolon qui nous avait amené jusqu'ici profita de ma rêverie alors que j'étais dans l'eau pour plonger sous l'eau et venir me frôler les cuisses..... Je le sentais prêt à profiter de la sensualité aquatique et aussi un peu de moi.. J'avais du partir en courant et riant dans l'eau pour échapper à ses escouades. Déçu, il sembla quand même ne pas m'en vouloir trop de faire l'effarouchée. Nous sommes rentrés un peu salés, cheveux emmêlés, ivres de soleil dans la nuit, et vraiment rien n'est plus apaisant, joli et tendre que de naviguer sous les étoiles dans un pareil panorama.
Voilà c'était un peu de mes Venise...
J'y suis allé de mémoire, il me semble cinq ou six fois.
La première fois, j'avais voulu prendre un peu l'air, m'étais comme enfuie d'un petit village suisse perdu dans la montagne où à une petite cinquantaine, il était question de vivre en communauté, l'idée ne me séduisait pas, trop indépendante pour ça.. et, en compagnie d'une autre nous avions décidé de partir vers la Yougoslavie, vers la mer sans doute. Nous étions partis en stop de Locarno.. Sur la route, nous avons fait connaissance de deux italiens qui harassés d'attendre depuis des heures sous le soleil nous ont proposé de continuer vers Venise en faisant deux couples mixtes pensant qu'ainsi ils finiraient par enfin réussir à décoller de l'endroit. Nous avons tirés au sort, je tombais sur Gigi.. Sur le chemin, une voiture nous laissa devant le lac de Garde. Il faisait très chaud et nous décidâmes d'un même élan d'en profiter pour nous baigner.
Gigi était brun, la peau mate, les cheveux un peu frisés. Assez beau.
J'étais assise plus haut sur la berge, j'avais donc une vue sur la petite plage et sur le lac. Quand Gigi s'avança dans l'eau, il y eut un silence, c'était comme si, tout d'un coup, tous les bruits alentour avaient subitement cessés, même les enfants avaient fait silence, pénétrés sans doute par celui soudain des adultes.. ô temps suspend ton vol. Je pris conscience alors que Gigi ressemblait à l'image que l'on se fait du Christ.. L'émotion palpable qui avait pris les badauds estivants m'éclaira en quelque sorte. Personne ne me fit part pourtant de sa pensée intime, mais c'était là et intuitivement je l'ai compris.. Nous avions tous soudain comme une vision biblique, nous n'étions plus en Italie mais sur les rives du lac Tibériade. Je ne me souviens pas m'être ouverte à ce sujet par la suite à Gigi.
Nous nous étions donnés rendez-vous sur la Place St Marc.. Il faisait nuit quand nous sommes finalement arrivés. Je ne sais plus qui furent les premiers, sans doute fut-ce cette amie et Riccardo..
Me souviens de la chaleur douce, d'une petite foule, de pigeons et de marches où nous étions assis tranquilles regardant le spectacle qui s'offrait. Cette première visite à Venise, fut courte, nous dormîmes à la belle dans un parc.. Gigi et Monique flirtèrent quand je restais sage. Le lendemain, les garçons partirent plus tôt, il allaient à Udine, nous nous filions vers Trieste. Quelques kilomètres plus tard, nous les retrouvions.. Nous avons il me semble continué un peu le stop ensemble et puis chacun avait suivi son chemin. Nous nous étions donnés rendez-vous plus tardivement à Milano. Après notre périple yougoslave, nous somme repassé à Venise, mais je n'en ai qu'un souvenir confus, sans doute ne sommes-nous pas restées très longtemps.
La troisième fois, j'arrivais par le train avec une autre amie, c'est bien d'arriver à Venise par le train, on sort de la gare, et là devant de grandes marches vous mènent directement vers l'eau.
Nous logions sur la Giudecca, l'ile juive de Venise, dans un couvent. J'aime beaucoup cette petite ile, elle autorise une échappatoire à Venise tout en permettant de l'admirer de l'autre bord du grand canal. C'est comme un tout petit venise, et si l'on y marche un peu, on découvre de petits endroits charmants et presque dérisoires. Mais je reviendrais pour une autre visite à la Giudecca.
Lors d'une de nos balades dans la cité lacustre, nous fîmes connaissance d'un italien, tiens j'ai oublié son prénom, disons Pietro... Il habitait Mestre mais venait tous les jours à Venise parce qu'il travaillait à la Fénice comme ouvreur. Alors tous les soirs après que nous ayons diné dans quelques trattorias, nous allions nous installer dans une loge du joli théâtre et assistions médusées, stoïques parfois, proches du fou rire d'autres fois, à des concerts chaque soir différents de musique contemporaine ou dites concrètes. Il n'y avait pas un public énorme et nous étions perchées tout en haut. Mais quelque soit la musique proposée, le spectacle en lui même du théâtre était magnifique. J'ai eu d'ailleurs beaucoup de peine quand celui a été détruit par un incendie quelques années plus tard. Il a été refait à l'identique, mais il lui faudra quand même plusieurs décennies pour qu'il retrouve les patines du temps qui faisaient son âme.
Je me souviens aussi que je ne payais qu'en fleurs cueillies ici ou là les chauffeurs des vaporetto qui en retour me souriaient et me laissaant faire tous les trajets possibles à l'œil. Sans doute, toute cette beauté là aquatique et architecturale me sublimait tellement qu'elle m'autorisait toute liberté.
Au couvent nous avions seulement une permission de sortie jusqu'à 22 heures, les sœurs nous ont parfois fait la tête quand nous arrivions trop tard, où quand nous n'avions pas dormi là, mais finalement cela les réjouissait plutôt, nos retards et ce qu'elles en imaginaient leur donnait l'œil malicieux..
Puis, je suis revenue encore à Venise avec l'une de mes sœurs.. Chacune avait fait son chemin pendant l'été, elle à Prague et moi à Vienne et Budapest. A l'époque pas de téléphone portable, pas d'internet et encore le mur de Berlin. Nous nous étions donné rendez-vous pendant quatre jours de suite à midi devant le légendaire hôtel Gellert à Budapest. Je narrerai plus tard mes aventures hongroises. Nous sommes restées encore quelques jours à Budapest, ma sœur était étonnée qu'en quelques jours je me sois fait déjà autant d'amis. Puis nous sommes parties un peu à l'aventure vers ce qui était encore la Yougoslavie par le train. Par hasard nous avons débarquées à Porec, sur la péninsule au sud de Trieste. Magnifique endroit bordé par l'eau... Jolies maisons, ruelles, églises, vieux quais de marbres usés, poésie des lieux qu'il me semblera un peu retrouver plus tard à Malte dans la charmante Graciosa.
Au bout de quelques jours alors qu'il fallait quand même que nous songions tout doucement à rentrer, nous nous sommes rendu compte qu'un bateau, davantage un petit paquebot qu'un ferry, allait de Porec à Venise.. L'aubaine était trop jolie, nous l'avons saisie. Le bateau était blanc et le soleil qui venait frapper sa coque et sa dunette nous éblouissait, la mer était d'un bleu profond, calme. J'aurais aimé continuer longtemps le voyage à son bord. L'arrivée à Venise en bateau est superbe, parce quand au loin on commence à apercevoir le ville qui se dessine tout doucement c'est une espèce de ravissement. J'ai dit plus haut que que descendre du train à la gare centrale était aussi agréable, mais il vaudrait mieux pouvoir toujours arriver partout par la mer. L'eau, ce qu'elle entoure, ce qu'elle semble comme porter de loin est vraiment un chemin vers l'émotion.
Dès le lendemain j'avais décidé d'aller vers une église que j'aimais particulièrement, elle était assez loin des sentiers battus et rabattus des touristes. Je risquais ayant oublié son nom de ne pas la retrouver. Il fallait prendre comme un dédale de petites rues.. Sans doute, mon fil d'Ariane personnel se mit-il en place sans que je ne le perçoive ou alors étais-je dans le même feeling que celui qui naguère m'avait amenée là. Il avait fallu que j'ai exactement le même cheminement. Au bout de vingt minutes de marche, nous tombions en face d'elle. Elle n'était pas spécialement plus jolie que d'autres, mais je l'aimais et surtout j'avais des souvenirs là qui n'appartenaient qu'à moi.
La première fois quand j'avais fini par arriver là, comme si quelque chose m'y attendais, j'étais entrée dans la grande église parce qu'aussi du dehors j'avais entendu de la musique. Il n'y avait plus aucune chaise et au fond sur une estrade était installé un orchestre symphonique qui répétait un concert à venir. Nous étions très peu de spectateurs. J'allais m'asseoir au pied d'une des très grandes colonnes, j'étais là le dos posé contre la pierre. Je n'avais jamais assistée en direct à une répétition d'orchestre. Je ne me souviens plus de quelle œuvre il s'agissait, je pencherais pour Beethoven. C'était un cadeau du ciel d'assister à un tel spectacle. Quelques moines en robe s'agitaient un peu alentour et l'on entendait dans la fraicheur de l'église le claquement sec de leurs spartiates qui résonnait au milieu des instruments. Je devais être là, discrète depuis plus d'une heure quand un des hommes d'église vint me déranger dans ma béatitude. Il me fit comprendre en agitant son trousseau de clefs qu'il devait fermer l'endroit, qu'il était l'heure.
J'essayais de résister un peu à sa demande mais je finis par quitter ma place avec regret et pris la direction de la sortie. J'échangeais quelques mots avec le moine, qui m'avoua qu'en réalité, il n'en était pas un, qu'il prenait l'habit pour vendre des cartes postales et autres souvenirs aux touristes. Là il me proposa de fermer l'église moi même.. ou est-ce moi qui lui fit part de cette envie, je ne sais plus. Mais quand je récupérais le trousseau, j'eus un peu l'impression d'avoir en main un peu d'Histoire, comme si, je touchais un peu du passé. Les clefs étaient énormes, grandes, chacune faisait au moins trente centimètres.. Il faut dire aussi que les portes l'étaient aussi. Quand je fermais la première, il fallait faire deux tours, le bruit des verrous en tournant claqua comme en résonnant dans le chambranle de la porte puis comme en écho résonna jusqu'au coeur de l'église. Je n'ai pas analysé pourquoi cela me fit tant plaisir d'accomplir cette tâche. Sans doute que détenir ces clefs m'en faisait pour un court moment comme une espèce de propriétaire et puis et surtout j'ai senti dans ces clefs comme un magnétisme, celui sans doute de toutes ces mains qui au fil des siècles les avaient maniées un jour.
Quand donc on a fini ma sœur et moi par arriver dans l'église, il n'y eut pas cette fois de choses particulières, sauf pour moi qui en retrouvant ces lieux, retrouvait mes sensations et mes anciennes visions.
Au soir de cette journée particulière pour moi me souviens aussi d'une autre scène tout à fait mémorable. A mon retour, le temps de marcher de l'autre côté de Venise il faisait nuit. Nous étions en août et, par conséquent les jours étaient déjà plus courts. Je traversais le grand canal et longeais d'un pas tranquille les quais de la Giudecca quand des clameurs d'abord puis des lumières qui irradiaient par dessus les toits me donnèrent envie de prendre une petite ruelle sombre qui semblait mener vers l'endroit où il avait l'air de se passer quelque chose. Je finis par arriver dans une espèce de no man's land, sorte de grande cour de terre bordée de maisons où se déroulait un match de foot. Il y avait foule qui s'était massée, postée sur les petits murets étroits qui cernaient les limites du petit stade. C'était si je me souviens bien un genre match de je ne sais quelle sous division mais nous avions là Milan contre la Guidecca .. C'était très chaud et animé, il y avait même des moines habillés en robe brune qui s'énervaient braillant, s'agitant autant que les autres. La scène était vraiment cocasse et toute cette vie là faisait vraiment plaisir à voir. J'ai du y rester une petite demi-heure puis ai filé vers le couvent pour ne pas avoir de remontrances des sœurs.
Claire et moi, on s'amusa à faire du bateau stop... Le premier à nous faire signe de monter à son bord était mais nous ne le savions pas encore, un éboueur.. Je ne sais plus comment on dit en italien.. Enfin donc avec sa petite péniche, il ramassait les poubelles qu'il enfournait dans le ventre de son bateau.
Là il ne travaillait pas et nous proposa une balade. Nous avons traversés avec lui le grand canal puis la Giudecca.. On ne savait pas trop où on allait en fait. Entre l'ile juive et une autre plus loin, il a arrêté le bateau sans un mot, nous nous sommes regardé ma sœur et moi un peu inquiètes, mais il ne voulait qu'effectuer la vidange de son moteur. Nous étions un peu dégoutées qu'il fasse ça là, laissant les vieilles huiles dans la mer, mais nous n'avons pas osé le manifester. Il était un peu rustre mais gentil. Il était très fier de son métier et portait un médaillon en or qu'il avait fait graver, d'un homme avec son petit balais fait à l'ancienne avec des petites brindilles de bois.
Quand il a finit, il m'a proposé de barrer sa péniche pour le retour.. La traversée du Grand Canal était un peu périlleuse, mais il s'installa à l'avant de son bateau et me laissa faire, il fallait faire attention, il y avait beaucoup d'embarcations frêles gondoles, vaporettos toutes vapeur dehors, quelques paquebots.. Quand j'arrivais de l'autre côté, alors parfois les canaux étaient très étroits et les angles pour tourner très obtus. Il fallait bien observer alors les miroirs qui aidaient à la vue et aussi crier d'un puissant ooooooh !! pour prévenir de son arrivée. Parfois j'avais le cœur qui battait vite, mais je m'en suis tirée, je ne sais pas bien comment, mais je le bateau est passé sans toucher......
Puis notre homme nous fit visiter un chantier de gondoles.. inhabituelle et originale visite. Enfin nous allâmes en partie en bateau et à pied par des espèces de terrains vagues et asséchés jusqu'à Murano. Pendant que nous marchions, il a essayé de me voler un baiser.. Je me suis esquivée en riant.
Les italiens peuvent vous proposer de faire l'amour en cinq minutes, mais je pense que pour la plupart si on acceptait franco, alors ils seraient pour le moins déconfits.. La religion est bien présente encore. Alors souvent on se sauve de tout avec un sourire.
A Murano, je dois dire que j'aurais bien voulu essayer de faire aussi gonfler le verre. Mais je n'ai pas osé demander.. Les ateliers de certains souffleurs de verre étaient juste de petites cabanes assez sobres dans lesquels il faisait une chaleur à étouffer. Mais dans cette moiteur enfumée, dans ces espèces d'antres, apparaissait la beauté. Clarté d'un rai de soleil irisant soudainement la pâte de verre soulignant la transparence, autorisant l'évidente fulgurance et nécessité d'un bleu profond, d'un rouge sang.. Dans une autre vie, sans doute, je serais souffleuse de verre.
Une autre fois un jeune homme sur un petit hors-bord assez décati, nous pris aussi en stop, nous proposant d'aller nous baigner au Lido.. Belle balade où nous foncions les cheveux au vent dans une beauté bleutée. Là bas, je sentis quelques effluves de Mort à Venise s'imposer naturellement à moi, tout y faisait songer, les vieux hôtels qui dressaient leurs blancheurs élégantes mais un peu démodées, la plage, les couleurs, il me semblait que j'allais croiser à l'ombre de quelques tissus tendus Mastroianni pleurant son bel enfant.. Notre appolon qui nous avait amené jusqu'ici profita de ma rêverie alors que j'étais dans l'eau pour plonger sous l'eau et venir me frôler les cuisses..... Je le sentais prêt à profiter de la sensualité aquatique et aussi un peu de moi.. J'avais du partir en courant et riant dans l'eau pour échapper à ses escouades. Déçu, il sembla quand même ne pas m'en vouloir trop de faire l'effarouchée. Nous sommes rentrés un peu salés, cheveux emmêlés, ivres de soleil dans la nuit, et vraiment rien n'est plus apaisant, joli et tendre que de naviguer sous les étoiles dans un pareil panorama.
Voilà c'était un peu de mes Venise...