de mer belle à force sept,
souvenirs émus de petits plats concoctés à bord…
« Le plaisir de la table est de tous les âges, de toutes les conditions, de tous les pays et de tous les jours ; il peut s’associer à tous les autres plaisirs, et reste le dernier pour nous consoler de leur perte. »
« La découverte d’un mets nouveau fait plus pour le genre humain que la découverte d’une étoile »
Jean Anthelme Brillat-Savarin
Le besoin de se nourrir régit la vie entière, dès sa naissance le nouveau-né appelle le sein de sa mère, c’est autour de la table de cuisine ou de la salle à manger que la famille se réunit, les affaires importantes se traitent elles aussi, le plus souvent, au cours de repas dits d’affaires, mais qu’en est-il des petits plats cuisinés à bord d’un bateau ?
On a tous navigateurs émérites ou plus néophytes, le souvenir ému de plats concoctés à bord, qu’ils soient le résultat de pêches, d’achats au supermarché du coin ou -pour les plus sportifs- le fruit de diverses préparations lyophilisées ou autres.
Parce qu’en mer les sensations sont souvent plus fortes qu’à terre, parce que partir naviguer c’est toujours partir un peu à l’aventure, parce que cette aventure là, qu’elle soit d’un jour, de quelques jours ou de beaucoup plus, peut s’inscrire dans nos plus beaux souvenirs ou qu’au contraire nous ramener pantois et lessivés au port…
Parce qu’à un moment ou un autre, l’estomac exigera son dû et que le plaisir ou les vivres ne seront pas toujours au rendez-vous… mais qu’à contrario parfois, oh, le joli souvenir, le poisson qui vient mordre juste à point ou le petit cassoulet qu’on avait oublié au fond d’un équipet.
J’aimerais recueillir ces souvenirs là intimes ou partagés de petits plats concoctés par mer belle ou plus agitée, au large ou bien au port.
Ces confidences seront celles de quelques femmes et hommes qui ont fait l’actualité du monde maritime mais aussi de simples amoureux de la mer moins connus des sphères médiatiques.
Rapporter ces confidences de plaisirs culinaires en mer, c’est une invitation au voyage, poétique parfois, violente ou plus élémentaire d’autres fois.
Où il ne sera pas question de rivaliser avec les grandes toques, mais bien plus le prétexte à lire des récits de mer.
Certains textes seront parfois simples, composés d’une trentaine de lignes, d’autres plus riches pourront se lire sur quelques pages.
Textes catherine vaton
Aléas culinaires...
C’était en 76, après la Transat, la fameuse, presque mythique, celle où Tabarly, arrive dans la brume de Newport apprenant surpris, qu’il est premier, qu'il a gagné. Mon frère Gilles avait fait la course et nous devions avec quelques amis ramener son voilier en France. La traversée fut agréable,assez rapide sans incident notoire. L’escale aux Açores fut comme d’habitude chaleureuse et bienvenue.
A Horta pas de supermarché encore, quelques boutiques tout au plus et le marché. Nous ne nous étions pas inquiété à l’avance des courses à faire et, la veille du départ, les petits étals du marché ne regorgeait pas beaucoup de frais,salades, tomates, oignons, pommes de terre, bananes, fruits de la passion, citrons et œufs remplirent notre cabas. Les quelques petites boutiques nous fournirent le reste, constitué en majorité de riz de pâtes de boites de conserves. Dans une de celles-ci, comme nous n’avions pas trouvé de viande que nous pourrions conserver, sans frigidaire à bord, j’aperçus des boites dont l’intitulé indiquait si ma mémoire est bonne, quelque chose comme « banco purissimo di porco ». Sans demander aucune explication au vendeur, j’en conclus un peu rapidement qu’il s’agissait sans doute de boulettes de porc…
Pour la bonne suite de l’histoire, il faut raconter la visite au petit port réservé au dépeçage des cachalots.
A l’époque, les Açoriens pêchaient à bord de fines baleinières, le cachalot au harpon. Des guetteurs postés sur le haut des îles faisaient exploser une espèce de fusée quand ils apercevaient les gros mammifères. Alors rapidement les baleinières étaient mises à l’eau et suivant les allures possibles, ils s’en allaient à la voile ou souquant ferme sur les avirons…
Sur une espèce de quai rougi par le sang, les hommes s'affairaient, découpant les cachalots en gros quartiers tandis que des petites grues finissaient d’en arracher les morceaux. La chair flasque, blanche et rouge plus près de la carcasse, tremblait sous les coups des divers outils qui l'attaquaient. C'était comme une boucherie immense.. Des deux côtés du quai, des vagues sanguinolentes venaient mourir sur une plage où jonchaient les cadavres de vertèbres et de côtes emmêlés des mammifères. Préférant quitter ce triste spectacle, j'allais voir de plus près les ossements blanchis par le soleil et le sel... J'avais envie de voler à la plage une des grosses vertèbres mais quand je m'emparais de l'une d'elles, l'odeur était telle, forte, acre, amère que dans un réflexe soudain j'en lâchai immédiatement mon butin .... Impossible d'emporter avec soi sur un bateau un tel parfum.. Il aurait fallu avoir le temps de la laisser tremper dans de l'eau de javel plusieurs jours pour qu'enfin elle soit débarrassé de ce lourd fardeau sensoriel.
Mais nous devions rentrer, quitter les Açores...
Après quelques jours de mer, nous eûmes envie de plus consistant.. de viande... Je ne sais plus qui de nous était de quart de cuisine, moi j’étais à la barre. Il fut décidé d'un plat de riz qu'accompagnerait le contenu d'une des boites « banco purissimo di porco ». Ouverte, celle-ci nous révéla un contenu surprenant, pas de boulette de viande mais une espèce de graisse blanche du type végétaline… Nous avions encore beaucoup de pommes de terre, le tour fut vite joué, ce serait frites à volonté pour tout le monde. Une cuisson pas forcément raisonnable dans un bateau en bois, mais il faisait beau, le voilier filait bon plein, sans trop de houle traversière, ni de gite… Le cuisinier du jour mit la graisse dans la cocotte, elle commença à fondre, révélant alors sa véritable identité, sa nature, l'odeur ne pouvait prêter à aucune confusion, ça sentait fort le cachalot !! Une espèce de fumée grasse s'échappait du bateau. Et ce n'était pas un fumet gastronomique.. Pouah ouvrez ouvrez tous les hublots... Sauve qui peut ..
En plein Atlantique j'ai toujours été étonnée du peu d'odeur... Hormis quand on croise un cargo duquel s'échappe forcément quelques relents d'échappements mécaniques..
Là le sillage laissé derrière notre étrave ne risquait pas d'aiguiser les papilles d'aucun marin alentour....
Étrangement les frites n'avaient pas subi l'assaut des ions malodorants,.. Elles étaient délicieuses… Un peu de sel et de moutarde et l'équipage se régala sous le soleil.....
Tandis que le bateau garda pendant plusieurs jours les effluves de cette originale escapade culinaire......
Recette :
1 boite de graisse de cachalot
1 kg de pommes de terre
Sel, poivre
Faire comme pour vos frites habituelles..
Le thon et la petite baleine..
Cet été là, je devais aller à Newport Rhode Island, pour ramener Arauna, un voilier que je connaissais bien. J'assistais au départ de la Transat à Plymouth puis, avec quelques amis, nous avions filé vers les Scillies... Nous étions tranquilles dans un pub s'enquillant d'irish coffee quand une amie vint me parler à l'oreille... Il y a des choses que l'on ne peut pas dire autrement qu'en chuchotant.... Elle me dit qu' Arauna venait de faire naufrage là, pas loin, un peu au large.. Alors je l'ai vu.. Je l'ai vu couler mon bateau, toutes voiles dehors dehors glissant vers les ténèbres et j'ai eu mal pour lui.
Ce bateau, je l'aimais, j'avais passé près de six mois à son bord... Nous avions été heureux et avions soufferts ensemble. Les coups de butoir de la mer nous faisaient mal à l'un autant qu'à l'autre. Souvent lors de nos tête à tête, je lui parlais, je le flattais lui tapotant la croupe, quand d'autre fois énervée, lui flanquais des coups de pied aussi. J'ai souvent pensé à lui comme à une espèce d'amour perdu.
Nous avions une amie et moi, déjà réservés nos vols vers New York, pour la traversée à venir mais là... mais nous partions bredouilles en quelque sorte...
Arrivées à Newport, iI s'agissait de trouver assez vite un hébergement sur un bateau.. Sur les pontons ou au cours d'une fête, je croisais kerso, II nous proposa en échange du rangement de son bateau de pouvoir nous y installer. Contentes de l'aubaine, son bateau devint vite notre maison. Kerso s'en amusa qui racontait à tout le monde que nous y avions même mis des fleurs..
Il cherchait quelqu'un pour ramener son bateau, mais je sentais celui-ci trop physique pour moi, je préférais qu'on trouve un skipper. Je savais aussi que je naviguerai plus tranquille, déchargée de cette responsabilité. .
Besteaver était l'un des Kriter, le VI.. Raide à la toile, un genre de fusée plus affûté pour le près que pour les vents portants...
Il y avait une bonne dizaine de garçons parés à l'aventure.. Nous avons fait comme un casting... Et nous sommes décidés pour deux d'entre eux dont l'un fut désigné skipper.
Nous n'avions pas encore quitté Newport que les brumes habituelles des lieux nous couvraient d'un manteau opaque et humide... Des voiliers fantômes nous frôlaient rentrant au port.. Les hommes choisis se révélérent charmants et il trouvaient bien plus délicieux de naviguer avec des filles plutôt qu'entre hommes......
Ce fut une navigation parfaite... La mer était belle et grande... les gens contents...
Au large des Açores, nous eûmes une belle tempête... La veille quand le vent et la mer commençaient à forcir, nous nous amusions à faire des concours de surfs... D'énormes vagues nous rattrapaient dans de gros rouleaux d'écume...
Dans la nuit, je fus un peu moins fière quand le bateau filait dans une obscurité profonde dévalant les vagues plein vent arrière et génois en ciseau. Les surfs devaient durer au moins une minute. Je ne sentais plus la barre et, quand au creux de la vague, le bateau se plantait un peu dans celle qui précédait, il fallait être vigilant pour ne pas le laisser s'en aller, risquant le départ au lof ou à l'abatté... Malgré ces conditions pour le moins acrobatiques, j'avais décidé, têtue, d'aller jusqu'au bout de mon quart...
Le pilote ne marchait pas.. Alors, quand il a fallu réveiller la personne qui devait prendre ma suite, j'étais bien embêtée... Pas possible d'appeler, la mer et le vent s'alliaient dans leur vacarme, jamais on ne m'entendrait. Difficile aussi dans ces conditions de lâcher la barre... Je décidais de compter de combien de temps je disposais pour vite descendre dans le bateau et revenir à temps... Une vingtaine de secondes tout au plus.. Le bateau était assez étroit et la descente abrupte... Je dévalais les trois ou quatre marches et vite secouais le matelot suivant, refilais dans l'autre sens.... Je tirais sur la barre pour remettre le bateau dans le bon axe.. Ouf
Je n'étais pas couchée encore quand le skipper du bateau me demanda de réveiller les autres pour qu'on réduise la toile...
Le lendemain soir nous arrivions à Horta...
C'est étonnant mais on arrive souvent au port la nuit ou au petit matin après une traversée. Là il y a toujours quelqu'un sur le quai qui semble vous attendre, prend les aussières, les amarre et vous offre de son paquet tendu une cigarette...
Alors après un peu las, on déguste la petite cibiche tranquille dans le cockpit sous les lumières d'un port inconnu dont on essaye de deviner au gré de ses ombres et de ses lumières, la géographie de son paysage...
A Horta, pour se rendre dans le centre, il faut faire le tour par les quais.. Le lendemain en fin d'après midi, alors que je faisais cette petite marche, je passais devant un camion dont la plate-forme arrière dégueulait littéralement de thons.. Je regardais l'étrange cargaison quand un jeune açorien d'un signe me fit comprendre de venir et m'en offrit deux.... Je revins au bateau pas peu fière un thon dans chaque main....
Étions-nous en quelque sorte affamés..... un peu fatigués du perpétuel menu pâtes et riz..Toujours est-il que je me mis aux fourneaux.... Je tranchais le thon... Coupais quelques tomates, un peu d'ail.. le thon fut saisi, d'un côté, puis l'autre hop, là... tandis qu'autour mijotait le reste.... Un peu de sel, une tournée de poivre... c'était joli et ça sentait bon..
Quand nous nous mimes à table dans le carré du bateau. Ce fut pour tous comme une extase..
Chaque bouchée me semblait plus délicieuse que la précédente...
Quel étrange sortilège nous avait pris pour que nous soyons ainsi tous dans cette même osmose de béatitude alimentaire. Sans doute quand on s'habitue à une alimentation un peu sommaire, quand on est un peu en manque, dès que l'assiette offre un goût, une saveur, des couleurs différents alors on savoure avec plus de délectation..
Et puis et aussi quand on revient de mer tout prend tellement une autre dimension, chaque petit rien de la terre peut s'approcher du sublime alors que d'autres peuvent vous exaspérer soudain.
Et là nous avions en plus et qui rajoutait à l'extase, cette espèce de communion d'âmes quand elles se plaisent et se comprennent.
Ce fut l'un de mes plus beaux diners...
Nous avions vite sympathisé avec le jeune homme donneur de thon quand un soir, sans un mot, il nous invita à le suivre..
Il faisait assez chaud dehors malgré la nuit... Il nous mena vers la conserverie pas très loin. C'était un lieu vaste, vide qui donna dès qu'on y pénétra de la résonance à nos voix. Nous avons traversés plusieurs salles.. Puis dans un fracas métallique, il a ouvert une grande porte. Elle menait à une chambre froide, il y avait comme une espèce de brouillard, un hammam à la moiteur glacé... j'ai frissonné... Nous étions comme aveugles dans l'opacité cotonneuse..... Soudain le voile blanc s'est un peu déchiré... Au début nous n'avons pas compris, là ce qui reposait plus loin... cette silhouette sombre... Il y avait en nous, dans nos attitudes quelque chose de l'ordre du religieux, du sacrifiel..... Nous nous mimes à chuchoter... Là plus loin, c'était une jeune baleine de cinq ou six mètres.. Le froid avait saisi le grand poisson mais ne l'avait pas écrasé, on aurait dit qu'il nageait encore, qu'il allait sonder bientôt..
Sentiments contradictoires. Beauté et tristesse mêlées. Court moment d'éternité. Une sculpture glacée sur les veinures du marbre blanc.
La nuit chaude du dehors nous trouva silencieux, encore frissonnants.
Recette
Un thon entier ou bonite
1 kg de tomates
oignons, ail, sel poivre, thym si possible
Faites dorer vos oignons, saisissez le thon sur chaque face,
veillez à ce qu'il reste moelleux au milieu,
Réservez..
Dans la même poêle faites compoter les tomates..
Redonnez un bref coup de chaud au thon et servez aussitôt.....
Affamés vers les Moutons.
Un jour mon frère et moi encore presque adolescents décidons d'aller passer la journée aux Glénan. Nous empruntons un mousquetaire de l'école de voile de l'ile tudy.. Le vent est portant, régulier, un peu plus de deux heures plus tard, nous mouillons devant Saint Nicolas. Là nous passons une partie de la journée tranquilles, baignades et balades au menu... Nous prenons le temps de piqueniquer de quelques tomates, fromage et pain.
En fin de journée, nous renvoyons la toile et c'est parti, cap sur sur le retour..
Le vent a beaucoup baissé, peu à peu notre vitesse diminue pour au final nous emmener dans un calme plat et profond.. La grand voile pend, molle, s'agitant sous la houle en faisant des flocs, flocs....
La nuit commence à tomber....Pas un souffle...
On pourrait penser qu'avec la nuit, une petite brise se lèverait mais non.... Rien à faire....
Mais surtout, il est presque minuit et notre menu frugal du midi est maintenant bien loin..
Nous avons faim..
La jeunesse est bien écervelée, et il ne reste qu'un morceau de baguette déjà desséchée.....
Je fouille, je fouille...ici et là me disant que peut-être une boite de conserve aurait pu glisser quelque part au fond d'un équipet...
Je finis par trouver quelques bouillons cub... un peu collés.. pas du tout appétissants..
Nous nous contenterons donc de cette espèce de tisane parfumée au bouillon de boeuf.. Je n'en mets pas trop sachant que souvent le bouillon cub est bien salé...
Mais quand enfin nous trempons nos quignons de pain dans la petite soupe..
Cela nous semble un mets véritablement exquis que nous savourons tranquilles sous les étoiles.....
Le lendemain matin nous filions vers l'ile tudy.
Dès son ouverture la boulangerie Peuziat vit deux énergumènes ébouriffés et avides faire razzia sur leurs croissants...
Recette
Trouvez des bouillons cubes un peu vieillots, le cru semble meilleur,
Faites chauffer de l'eau dans laquelle vous émietterez le bouillon,
Amener à ébullition,
Servir avec reste de baguette ayant chauffé sous le soleil des glénan...
Savourez...
« La découverte d’un mets nouveau fait plus pour le genre humain que la découverte d’une étoile »
Jean Anthelme Brillat-Savarin
Le besoin de se nourrir régit la vie entière, dès sa naissance le nouveau-né appelle le sein de sa mère, c’est autour de la table de cuisine ou de la salle à manger que la famille se réunit, les affaires importantes se traitent elles aussi, le plus souvent, au cours de repas dits d’affaires, mais qu’en est-il des petits plats cuisinés à bord d’un bateau ?
On a tous navigateurs émérites ou plus néophytes, le souvenir ému de plats concoctés à bord, qu’ils soient le résultat de pêches, d’achats au supermarché du coin ou -pour les plus sportifs- le fruit de diverses préparations lyophilisées ou autres.
Parce qu’en mer les sensations sont souvent plus fortes qu’à terre, parce que partir naviguer c’est toujours partir un peu à l’aventure, parce que cette aventure là, qu’elle soit d’un jour, de quelques jours ou de beaucoup plus, peut s’inscrire dans nos plus beaux souvenirs ou qu’au contraire nous ramener pantois et lessivés au port…
Parce qu’à un moment ou un autre, l’estomac exigera son dû et que le plaisir ou les vivres ne seront pas toujours au rendez-vous… mais qu’à contrario parfois, oh, le joli souvenir, le poisson qui vient mordre juste à point ou le petit cassoulet qu’on avait oublié au fond d’un équipet.
J’aimerais recueillir ces souvenirs là intimes ou partagés de petits plats concoctés par mer belle ou plus agitée, au large ou bien au port.
Ces confidences seront celles de quelques femmes et hommes qui ont fait l’actualité du monde maritime mais aussi de simples amoureux de la mer moins connus des sphères médiatiques.
Rapporter ces confidences de plaisirs culinaires en mer, c’est une invitation au voyage, poétique parfois, violente ou plus élémentaire d’autres fois.
Où il ne sera pas question de rivaliser avec les grandes toques, mais bien plus le prétexte à lire des récits de mer.
Certains textes seront parfois simples, composés d’une trentaine de lignes, d’autres plus riches pourront se lire sur quelques pages.
Textes catherine vaton
Aléas culinaires...
C’était en 76, après la Transat, la fameuse, presque mythique, celle où Tabarly, arrive dans la brume de Newport apprenant surpris, qu’il est premier, qu'il a gagné. Mon frère Gilles avait fait la course et nous devions avec quelques amis ramener son voilier en France. La traversée fut agréable,assez rapide sans incident notoire. L’escale aux Açores fut comme d’habitude chaleureuse et bienvenue.
A Horta pas de supermarché encore, quelques boutiques tout au plus et le marché. Nous ne nous étions pas inquiété à l’avance des courses à faire et, la veille du départ, les petits étals du marché ne regorgeait pas beaucoup de frais,salades, tomates, oignons, pommes de terre, bananes, fruits de la passion, citrons et œufs remplirent notre cabas. Les quelques petites boutiques nous fournirent le reste, constitué en majorité de riz de pâtes de boites de conserves. Dans une de celles-ci, comme nous n’avions pas trouvé de viande que nous pourrions conserver, sans frigidaire à bord, j’aperçus des boites dont l’intitulé indiquait si ma mémoire est bonne, quelque chose comme « banco purissimo di porco ». Sans demander aucune explication au vendeur, j’en conclus un peu rapidement qu’il s’agissait sans doute de boulettes de porc…
Pour la bonne suite de l’histoire, il faut raconter la visite au petit port réservé au dépeçage des cachalots.
A l’époque, les Açoriens pêchaient à bord de fines baleinières, le cachalot au harpon. Des guetteurs postés sur le haut des îles faisaient exploser une espèce de fusée quand ils apercevaient les gros mammifères. Alors rapidement les baleinières étaient mises à l’eau et suivant les allures possibles, ils s’en allaient à la voile ou souquant ferme sur les avirons…
Sur une espèce de quai rougi par le sang, les hommes s'affairaient, découpant les cachalots en gros quartiers tandis que des petites grues finissaient d’en arracher les morceaux. La chair flasque, blanche et rouge plus près de la carcasse, tremblait sous les coups des divers outils qui l'attaquaient. C'était comme une boucherie immense.. Des deux côtés du quai, des vagues sanguinolentes venaient mourir sur une plage où jonchaient les cadavres de vertèbres et de côtes emmêlés des mammifères. Préférant quitter ce triste spectacle, j'allais voir de plus près les ossements blanchis par le soleil et le sel... J'avais envie de voler à la plage une des grosses vertèbres mais quand je m'emparais de l'une d'elles, l'odeur était telle, forte, acre, amère que dans un réflexe soudain j'en lâchai immédiatement mon butin .... Impossible d'emporter avec soi sur un bateau un tel parfum.. Il aurait fallu avoir le temps de la laisser tremper dans de l'eau de javel plusieurs jours pour qu'enfin elle soit débarrassé de ce lourd fardeau sensoriel.
Mais nous devions rentrer, quitter les Açores...
Après quelques jours de mer, nous eûmes envie de plus consistant.. de viande... Je ne sais plus qui de nous était de quart de cuisine, moi j’étais à la barre. Il fut décidé d'un plat de riz qu'accompagnerait le contenu d'une des boites « banco purissimo di porco ». Ouverte, celle-ci nous révéla un contenu surprenant, pas de boulette de viande mais une espèce de graisse blanche du type végétaline… Nous avions encore beaucoup de pommes de terre, le tour fut vite joué, ce serait frites à volonté pour tout le monde. Une cuisson pas forcément raisonnable dans un bateau en bois, mais il faisait beau, le voilier filait bon plein, sans trop de houle traversière, ni de gite… Le cuisinier du jour mit la graisse dans la cocotte, elle commença à fondre, révélant alors sa véritable identité, sa nature, l'odeur ne pouvait prêter à aucune confusion, ça sentait fort le cachalot !! Une espèce de fumée grasse s'échappait du bateau. Et ce n'était pas un fumet gastronomique.. Pouah ouvrez ouvrez tous les hublots... Sauve qui peut ..
En plein Atlantique j'ai toujours été étonnée du peu d'odeur... Hormis quand on croise un cargo duquel s'échappe forcément quelques relents d'échappements mécaniques..
Là le sillage laissé derrière notre étrave ne risquait pas d'aiguiser les papilles d'aucun marin alentour....
Étrangement les frites n'avaient pas subi l'assaut des ions malodorants,.. Elles étaient délicieuses… Un peu de sel et de moutarde et l'équipage se régala sous le soleil.....
Tandis que le bateau garda pendant plusieurs jours les effluves de cette originale escapade culinaire......
Recette :
1 boite de graisse de cachalot
1 kg de pommes de terre
Sel, poivre
Faire comme pour vos frites habituelles..
Le thon et la petite baleine..
Cet été là, je devais aller à Newport Rhode Island, pour ramener Arauna, un voilier que je connaissais bien. J'assistais au départ de la Transat à Plymouth puis, avec quelques amis, nous avions filé vers les Scillies... Nous étions tranquilles dans un pub s'enquillant d'irish coffee quand une amie vint me parler à l'oreille... Il y a des choses que l'on ne peut pas dire autrement qu'en chuchotant.... Elle me dit qu' Arauna venait de faire naufrage là, pas loin, un peu au large.. Alors je l'ai vu.. Je l'ai vu couler mon bateau, toutes voiles dehors dehors glissant vers les ténèbres et j'ai eu mal pour lui.
Ce bateau, je l'aimais, j'avais passé près de six mois à son bord... Nous avions été heureux et avions soufferts ensemble. Les coups de butoir de la mer nous faisaient mal à l'un autant qu'à l'autre. Souvent lors de nos tête à tête, je lui parlais, je le flattais lui tapotant la croupe, quand d'autre fois énervée, lui flanquais des coups de pied aussi. J'ai souvent pensé à lui comme à une espèce d'amour perdu.
Nous avions une amie et moi, déjà réservés nos vols vers New York, pour la traversée à venir mais là... mais nous partions bredouilles en quelque sorte...
Arrivées à Newport, iI s'agissait de trouver assez vite un hébergement sur un bateau.. Sur les pontons ou au cours d'une fête, je croisais kerso, II nous proposa en échange du rangement de son bateau de pouvoir nous y installer. Contentes de l'aubaine, son bateau devint vite notre maison. Kerso s'en amusa qui racontait à tout le monde que nous y avions même mis des fleurs..
Il cherchait quelqu'un pour ramener son bateau, mais je sentais celui-ci trop physique pour moi, je préférais qu'on trouve un skipper. Je savais aussi que je naviguerai plus tranquille, déchargée de cette responsabilité. .
Besteaver était l'un des Kriter, le VI.. Raide à la toile, un genre de fusée plus affûté pour le près que pour les vents portants...
Il y avait une bonne dizaine de garçons parés à l'aventure.. Nous avons fait comme un casting... Et nous sommes décidés pour deux d'entre eux dont l'un fut désigné skipper.
Nous n'avions pas encore quitté Newport que les brumes habituelles des lieux nous couvraient d'un manteau opaque et humide... Des voiliers fantômes nous frôlaient rentrant au port.. Les hommes choisis se révélérent charmants et il trouvaient bien plus délicieux de naviguer avec des filles plutôt qu'entre hommes......
Ce fut une navigation parfaite... La mer était belle et grande... les gens contents...
Au large des Açores, nous eûmes une belle tempête... La veille quand le vent et la mer commençaient à forcir, nous nous amusions à faire des concours de surfs... D'énormes vagues nous rattrapaient dans de gros rouleaux d'écume...
Dans la nuit, je fus un peu moins fière quand le bateau filait dans une obscurité profonde dévalant les vagues plein vent arrière et génois en ciseau. Les surfs devaient durer au moins une minute. Je ne sentais plus la barre et, quand au creux de la vague, le bateau se plantait un peu dans celle qui précédait, il fallait être vigilant pour ne pas le laisser s'en aller, risquant le départ au lof ou à l'abatté... Malgré ces conditions pour le moins acrobatiques, j'avais décidé, têtue, d'aller jusqu'au bout de mon quart...
Le pilote ne marchait pas.. Alors, quand il a fallu réveiller la personne qui devait prendre ma suite, j'étais bien embêtée... Pas possible d'appeler, la mer et le vent s'alliaient dans leur vacarme, jamais on ne m'entendrait. Difficile aussi dans ces conditions de lâcher la barre... Je décidais de compter de combien de temps je disposais pour vite descendre dans le bateau et revenir à temps... Une vingtaine de secondes tout au plus.. Le bateau était assez étroit et la descente abrupte... Je dévalais les trois ou quatre marches et vite secouais le matelot suivant, refilais dans l'autre sens.... Je tirais sur la barre pour remettre le bateau dans le bon axe.. Ouf
Je n'étais pas couchée encore quand le skipper du bateau me demanda de réveiller les autres pour qu'on réduise la toile...
Le lendemain soir nous arrivions à Horta...
C'est étonnant mais on arrive souvent au port la nuit ou au petit matin après une traversée. Là il y a toujours quelqu'un sur le quai qui semble vous attendre, prend les aussières, les amarre et vous offre de son paquet tendu une cigarette...
Alors après un peu las, on déguste la petite cibiche tranquille dans le cockpit sous les lumières d'un port inconnu dont on essaye de deviner au gré de ses ombres et de ses lumières, la géographie de son paysage...
A Horta, pour se rendre dans le centre, il faut faire le tour par les quais.. Le lendemain en fin d'après midi, alors que je faisais cette petite marche, je passais devant un camion dont la plate-forme arrière dégueulait littéralement de thons.. Je regardais l'étrange cargaison quand un jeune açorien d'un signe me fit comprendre de venir et m'en offrit deux.... Je revins au bateau pas peu fière un thon dans chaque main....
Étions-nous en quelque sorte affamés..... un peu fatigués du perpétuel menu pâtes et riz..Toujours est-il que je me mis aux fourneaux.... Je tranchais le thon... Coupais quelques tomates, un peu d'ail.. le thon fut saisi, d'un côté, puis l'autre hop, là... tandis qu'autour mijotait le reste.... Un peu de sel, une tournée de poivre... c'était joli et ça sentait bon..
Quand nous nous mimes à table dans le carré du bateau. Ce fut pour tous comme une extase..
Chaque bouchée me semblait plus délicieuse que la précédente...
Quel étrange sortilège nous avait pris pour que nous soyons ainsi tous dans cette même osmose de béatitude alimentaire. Sans doute quand on s'habitue à une alimentation un peu sommaire, quand on est un peu en manque, dès que l'assiette offre un goût, une saveur, des couleurs différents alors on savoure avec plus de délectation..
Et puis et aussi quand on revient de mer tout prend tellement une autre dimension, chaque petit rien de la terre peut s'approcher du sublime alors que d'autres peuvent vous exaspérer soudain.
Et là nous avions en plus et qui rajoutait à l'extase, cette espèce de communion d'âmes quand elles se plaisent et se comprennent.
Ce fut l'un de mes plus beaux diners...
Nous avions vite sympathisé avec le jeune homme donneur de thon quand un soir, sans un mot, il nous invita à le suivre..
Il faisait assez chaud dehors malgré la nuit... Il nous mena vers la conserverie pas très loin. C'était un lieu vaste, vide qui donna dès qu'on y pénétra de la résonance à nos voix. Nous avons traversés plusieurs salles.. Puis dans un fracas métallique, il a ouvert une grande porte. Elle menait à une chambre froide, il y avait comme une espèce de brouillard, un hammam à la moiteur glacé... j'ai frissonné... Nous étions comme aveugles dans l'opacité cotonneuse..... Soudain le voile blanc s'est un peu déchiré... Au début nous n'avons pas compris, là ce qui reposait plus loin... cette silhouette sombre... Il y avait en nous, dans nos attitudes quelque chose de l'ordre du religieux, du sacrifiel..... Nous nous mimes à chuchoter... Là plus loin, c'était une jeune baleine de cinq ou six mètres.. Le froid avait saisi le grand poisson mais ne l'avait pas écrasé, on aurait dit qu'il nageait encore, qu'il allait sonder bientôt..
Sentiments contradictoires. Beauté et tristesse mêlées. Court moment d'éternité. Une sculpture glacée sur les veinures du marbre blanc.
La nuit chaude du dehors nous trouva silencieux, encore frissonnants.
Recette
Un thon entier ou bonite
1 kg de tomates
oignons, ail, sel poivre, thym si possible
Faites dorer vos oignons, saisissez le thon sur chaque face,
veillez à ce qu'il reste moelleux au milieu,
Réservez..
Dans la même poêle faites compoter les tomates..
Redonnez un bref coup de chaud au thon et servez aussitôt.....
Affamés vers les Moutons.
Un jour mon frère et moi encore presque adolescents décidons d'aller passer la journée aux Glénan. Nous empruntons un mousquetaire de l'école de voile de l'ile tudy.. Le vent est portant, régulier, un peu plus de deux heures plus tard, nous mouillons devant Saint Nicolas. Là nous passons une partie de la journée tranquilles, baignades et balades au menu... Nous prenons le temps de piqueniquer de quelques tomates, fromage et pain.
En fin de journée, nous renvoyons la toile et c'est parti, cap sur sur le retour..
Le vent a beaucoup baissé, peu à peu notre vitesse diminue pour au final nous emmener dans un calme plat et profond.. La grand voile pend, molle, s'agitant sous la houle en faisant des flocs, flocs....
La nuit commence à tomber....Pas un souffle...
On pourrait penser qu'avec la nuit, une petite brise se lèverait mais non.... Rien à faire....
Mais surtout, il est presque minuit et notre menu frugal du midi est maintenant bien loin..
Nous avons faim..
La jeunesse est bien écervelée, et il ne reste qu'un morceau de baguette déjà desséchée.....
Je fouille, je fouille...ici et là me disant que peut-être une boite de conserve aurait pu glisser quelque part au fond d'un équipet...
Je finis par trouver quelques bouillons cub... un peu collés.. pas du tout appétissants..
Nous nous contenterons donc de cette espèce de tisane parfumée au bouillon de boeuf.. Je n'en mets pas trop sachant que souvent le bouillon cub est bien salé...
Mais quand enfin nous trempons nos quignons de pain dans la petite soupe..
Cela nous semble un mets véritablement exquis que nous savourons tranquilles sous les étoiles.....
Le lendemain matin nous filions vers l'ile tudy.
Dès son ouverture la boulangerie Peuziat vit deux énergumènes ébouriffés et avides faire razzia sur leurs croissants...
Recette
Trouvez des bouillons cubes un peu vieillots, le cru semble meilleur,
Faites chauffer de l'eau dans laquelle vous émietterez le bouillon,
Amener à ébullition,
Servir avec reste de baguette ayant chauffé sous le soleil des glénan...
Savourez...