Une amie a cité sur un réseau de partage « le Sentiment océanique » le référant à Romain Rolland. Éveillant ma curiosité, j'ai voulu vérifier la source me réjouissant à l'avance de la possibilité de la lecture d'un texte sur une traversée, un récit maritime a minima.
Tel ne le fut pas le cas...
C'est Romain Rolland qui invente le terme dans une lettre à Freud avec lequel il entretient une importante correspondance  :
«...Mais j'aurais aimé à vous voir faire l'analyse du sentiment religieux spontané ou, plus exactement, de la sensation religieuse qui est le fait simple et direct de la sensation de l'éternel (qui peut très bien n'être pas éternel, mais simplement sans bornes perceptibles, et comme océanique).»
La description de Freud quant à ce sentiment est celui d'une union indissoluble avec le grand Tout, d'appartenance à l'universel. Ainsi la vague ou la goutte d'eau, dans l'océan...
Freud considère cette émotion, le sentiment océanique d’illimité, d’infini, d’éternité, comme une illusion, une vue intellectuelle associée à un élément affectif certain. Il fait un parallèle entre «le sentiment océanique » et le moi primitif du nourrisson qui ne distingue pas encore son moi du monde extérieur. Le moi de l'adulte serait un moi rétréci sous les coups de butoir de l’épreuve de réalité. Rejetant l'intitulé de religieux qui ne serait qu'une aspiration naturelle qu'ont les hommes de refuser l'angoisse face à leur propre disparition.

L'idée freudienne serait que l'on se place consciemment (ou plutôt inconsciemment j'imagine), dans cette position sensorielle dans une volonté de vouloir appartenir à un monde, d'être inclus dans celui-ci. Appartenir à un tout, cette aspiration là, légitime au fond, nous permet en un sens de contrer les aléas et les interrogations de ce que ('est) sera (est) notre vie et la fin de celle-c. En résumé si l'on en croit Freud, se placer dans cette extase est finalement très œdipien, ce serait désirer se réfugier sous la protection du père. Mais il y a toujours un mais, cette inclusion dans un tout est aussi dangereuse elle peut aussi mener à une annihilation de soi. C'est ainsi qu'il faut se construire soi, sa vie, lui donner sens, s'affranchir du père...

Ce « sentiment océanique » psychologique et sensuel est devenu concept psychanalytique. C'est une forme particulière des «états modifiés de conscience», domaine qui, selon les interprétations, peut recouvrir diverses expériences comme toute notion d’éveil spirituel religieux ou profane.

Un sage indien Swami Prajnanpad a son propre point de vue : Ce « sentiment océanique » n'a rien, en lui-même, de proprement religieux. J'ai même, pour ce que j'en ai vécu, l'impression inverse : celui qui se sent « un avec le Tout » n'a pas besoin d'autre chose. Un Dieu ? Pour quoi faire ? L'univers suffit. Une Église ? Inutile. Le monde suffit. Une foi ? À quoi bon ? L'expérience suffit. »

Au fond si l'on considère la théorie de Freud comme juste, les artistes qui semblent plus sujets à ces béatitudes seraient au fond restés au stade du besoin de la protection d'un père en un sens et toujours assez proches de l'état enfantin. Mais au travers de leurs propres transcendances, la grâce ou le questionnement de leurs émotions intimes, ils nous passent comme un relais pour assumer et comprendre nos propres émotions.

Il m'arrive souvent de ressentir cette espèce de béatitude plutôt paysagère, mais aussi musicale C'est comme si le sublime m'ouvrait ses bras.. Si l'on suit le raisonnement freudien si cela n'est que rêveries et qu'il fallait se «débarrasser» de ces illusions là, le monde, la vie n'auraient plus de saveurs. Sans doute l'explication quant à ce concept de Freud s'attache davantage au fait de ne pas chercher avec nostalgie à retrouver ce qui nous a transcendé et de ne pas confondre cet état à quelque chose en rapport avec le divin.
Mais ce sentiment d'infini, sorte de fulgurance extatique quand il nous prend nous laisse souvent confondu dans des interrogations existentielles certes mais non dénuées de spiritualité. Parce qu'alors même en étant agnostique, on peut se laisser à penser qu'une telle beauté ne peut être une construction du hasard. Cet état favorisant sans nul doute en parallèle ce même élan spirituel.
Faut-il se méfier de trop de transcendance envers la beauté ?
Sans doute plus que de l'émotion lié au sublime, faut-il rester vigilants à son exaltation conséquente... Le trouble sensoriel annihilant une réflexion cartésienne.
Il reste que quoiqu'il en soit avec ou sans l'analyse freudienne que ce sentiment de béatitude heureuse je l'accepte volontiers, sans retour et qu'il sera toujours le bienvenu en ma personne.

«Une grande paix, la suspension ou l’abolition du temps et du discours. La première fois cela se produisit à L., la nuit, en forêt, alors que je marchais en silence, derrière quelques amis. Paix, grande paix. Puis, soudain, cette simplicité merveilleuse et pleine. Il me semblait que tout l’univers était là, présent, sans mystère ni question, sans volonté ni sens, et que je m'abolissais en lui... Cet infini de la présence. Béatitude… J’avais vécu là mon premier instant de plénitude que je n’oublierai pas.
André Conte Sponville
8/26/2013 03:51:15 am

bonjour,
votre texte me fait penser à ma lecture du moment: "le pouvoir du moment présent" d'eckart tolle.
Je vous le conseil, loin d'être un banal livre de développement personnel comme il est souvent présenté, c'est une vraie réflexion sur le spirituel, inspiré de bouddhisme de christianisme et de soufisme entre autre.
je découvre votre page et j'aime beaucoup
au plaisir de vous lire encore. belle soirée à vous

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